l'Art

Qu'est-ce que l'art ? peut-on produire une définition qui couvre l'ensemble des pratiques dites "artistiques" ?

Les oeuvres d'art, notamment dans les arts plastiques et les arts littéraires, expriment certaines significations. Comment concevoir celles-ci ? S'agit-il de représenter la réalité ? ou s'agit-il d'exprimer la subectivité de l'artiste ou des hommes ?

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Des questions plus spécifiques :

qu'est-ce ce que la création artistique ? de quelle nature est la capacité créatrice de l'artiste ? est-elle même intelligible ? 

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Enfin, la valeur d'une oeuvre dépend-elle des gouts de chacun, ou y a-t-il une objectivité du jugement esthétique ?

ppt : L art iii la relativite des gouts 2015L art iii la relativite des gouts 2015 (4.86 Mo)

pdf : L art iii la relativite des gouts 2015L art iii la relativite des gouts 2015 (12.17 Mo)

L'art est-il un luxe inutile ?

Il suffit de regarder autour de soi pour voir l’œuvre de l’homme, elle est partout : dans le livre que l’on tient entre les mains, dans la maison que l’on habite et jusque dans les modifications d’un paysage qui n’a plus de naturel que le nom. L’homme ne peut se satisfaire de ce qui lui est donné, il  transforme ce qui existe par sa main et son intelligence. Étymologiquement, l’art renvoie à cette activité de transformation de la nature. « Art » provient en effet de ars, en latin et de technê, en grec. En un premier sens, l’art renvoie donc d’abord à un savoir-faire, à une technique. Ainsi, l’Antiquité grecque ne distinguait pas l’artiste de l’artisan. Un sculpteur n’était alors rien d’autre qu’un excellent tailleur de pierre. Ceci dit, quand on parle d’art aujourd’hui, on parle des beaux-arts. Ainsi, parmi les productions humaines, le terme «  art  » désigne surtout celles qui ont une visée esthétique. Bien que l’art renvoie à des réalités fort différentes telles qu’un tableau, une sonate, une sculpture ou un film, il semble que l’on puisse leur trouver un point commun : elles ne sont pas simplement utilitaires. Je peux habiter une maison, mais je ne peux pas vivre dans les palais oniriques qu’aimait peindre Salvador Dalí. On pourra donc se demander ce qui distingue l’œuvre d’art des œuvres artisanales et en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Étant inutile, l’art doit-il être considéré comme un luxe futile et frivole, dont on ferait bien de se passer pour se consacrer à des choses plus sérieuses ? Pour ce faire, on se demandera d’abord si l’art est vraiment inutile.

1. Mon maçon est-il artiste ?

Nous avons établi que l’Antiquité grecque confondait en un même mot l’artiste et l’artisan, mais ne peut-on pas les distinguer ?
L’artiste n’est-il qu’un artisan qui maîtriserait parfaitement les techniques de sa pratique ? Un tailleur de pierre est-il un bon maçon, un sculpteur est-il un excellent tailleur de pierre ?
Autrement dit : existe-t-il une différence de degré ou une différence de nature entre un maçon et Michel-Ange ?

Texte 1

« Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. […] Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l'œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. [...] Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l'œuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre œuvre. »

 Alain, Système des Beaux-arts

On pourrait confondre l’artiste et l’artisan dans la mesure où tous deux fabriquent des objets en obéissant à des règles techniques. Pourtant,  Alain distingue radicalement leur travail.

 L’artisan produit une œuvre en suivant une idée qui existe avant sa réalisation et qui détermine l’exécution. Le maçon suit le plan de l’architecte qui précise la longueur des murs et la profondeur des fondations.  Par ailleurs les techniques qu’utilise le maçon sont aussi déterminées en amont par la nature de son travail : les parpaings doivent être croisés et la composition de l’enduit respectée. La fin et les moyens auxquels se soumet l’artisan sont donc déterminés par avance. Dans l’artisanat, la fin étant déterminée par avance il ne reste plus à l’artisan qu’à maîtriser sa technique pour satisfaire aux exigences de son travail. Voila pourquoi nombre des objets auparavant fabriqués artisanalement sont aujourd’hui produits par des machines, de façon mécanique. Les progrès de la robotique réduisent toujours de plus en plus la part de la production artisanale dans les œuvres humaines.

Rien ne serait plus inquiétant qu’un maçon qui improvise quand il construit une maison ! A l’inverse,  un musicien lorsqu’il compose ne fait rien d’autre que de laisser libre cours à son inspiration : composer c’est improviser. C’est en ce sens qu’Alain écrit que l’artiste est le « spectateur de son œuvre en train de naître ». Cela ne veut pas dire que l’artiste fait n’importe quoi ou qu’il attende passivement que l’inspiration l’envahisse. Cela veut dire au contraire qu’il doit travailler, que c’est dans la matière même de son art que se dessine l’œuvre à naître. On remarque ci-contre les efforts faits par Raphaël pour obtenir une composition satisfaisante de l’œuvre qu’il cherche à peindre.

On ne peut pas réduire l’art à la maîtrise ou à l’application d’un ensemble de règles techniques. Pour l’artiste la maîtrise technique est une condition nécessaire mais en aucune façon suffisante. Même s’il est possible de reproduire des œuvres d’art il est impossible d’en créer de nouvelles en suivant des règles fixées d’avance. Il ne peut y avoir de recettes permettant de réaliser un chef d’œuvre.

Ainsi, il y a bien une différence de nature entre la production artisanale et la création artistique : il ne suffit pas pour être artiste d’être un excellent artisan, la différence entre ces deux activités est qualitative et non quantitative : leur travail n’est pas du même ordre. En outre, les œuvres artistiques et les œuvres artisanales se distinguent aussi par leur finalité : l’artisan produit des objets utiles alors que l’artiste crée des œuvres qui n’ont comme seule vocation que d’être contemplée.

2. Doit-on se débarrasser des artistes ?

Le maçon construit des maisons : son travail est utile car il répond à un besoin. En revanche on ne peut pas se servir des œuvres créées par l’artiste : elles ne servent éventuellement qu’à décorer (ce qui n’est pas vraiment utile). Que doit-on alors faire de lui s’il ne sert à rien, doit-on l’éconduire comme la fourmi sa voisine ?

Dire que l’art est inutile ce n’est pas pour autant le dénuer de toute valeur. On décrit souvent nos sociétés occidentales comme matérialistes, consuméristes et utilitaristes et pourtant : demandons donc à un homme ce qui a le plus d’importance pour lui : est-ce sa voiture, sa maison ? Assurément non, il répondra que ce sont ses enfants ou sa femme. Or les enfants ne servent à rien et rien ne serait d’ailleurs plus scandaleux que de faire des enfants pour s’en servir ! Convenons donc qu’il est des choses plus importantes que ce qui n’est qu’utile. Certes, les enfants contrairement aux œuvres d’art sont des personnes qui ont une valeur absolue mais cela nous montre qu’il y a des valeurs plus hautes que l’utile.

Quelle est donc la valeur des œuvres d’art ? Peuvent-elles être à la fois inutiles et pourtant nécessaires ?

Texte 2

« Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. - L'endroit le plus utile d'une maison, ce sont les latrines.

Moi, n'en déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire, - et j'aime mieux les choses et les gens en raison inverse des services qu'ils me rendent. Je préfère à certain vase qui me sert un vase chinois, semé de dragons et de mandarins, qui me sert pas du tout »

Théophile Gautier - Mademoiselle de Maupin

Les besoins proviennent ou dérivent de notre nature biologique et celle-ci nous rappelle notre animalité. C’est en ce sens qu’ils sont « ignobles » et « dégoûtants » selon les mots de Théophile Gautier. Au contraire le superflu est le signe de notre culture, de notre capacité à nous détacher de nos besoins et donc de la nature. L’art est la plus belle expression de la culture en ce qu’il est le plus éloigné de nos besoins naturels. Remarquons que cela ne veut pas dire que l’art est contraire à la nature de l’homme car paradoxalement la nature de l’homme n’est pas naturelle mais culturelle. On ne devient pleinement humain qu’en se détachant de l’ordre naturel du monde. La technique ou l’artisanat nous permettent de transformer les données naturelles mais leur raison d’être reste liée au besoin et donc à notre dimension biologique. Au contraire,  l’art n’est motivé par aucun souci biologique et c’est en cela qu’il est pleinement humain. Marx remarque que « L’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. ». Mais bien que les abeilles soient habiles on ne les a  jamais vues, ailleurs que dans les fables, composer des sonates ou peindre des toiles. L’art réalise notre humanité et accomplit notre nature : il est inutile mais nécessaire à l’expression de notre humanité.

                                    Tableau latrines