3 Le juste comme l'égal
Le marché est certes créateur de richesses et il faut reconnaître que toute inégalité n'est pas nécessairement illégitime. Pour autant, si l'on referme nos livres d'économie pour parcourir du regard le monde et ses extraordinaires inégalités, on ne peut qu'être étonné d'entendre parler des vertus du libre marché. Ce monde nous dit-on, est le meilleur possible et l'intervention de l'Etat ne pourrait qu'empirer ce que nous voyons, mais est-ce bien vrai ?
Loin des beaux discours qui nous invite patrons et employés à nous donner la main pour renouer avec la croissance et à nous serrer la ceinture pour enrayer la dette, Marx affirme que la société n'est pas un ensemble d'individus partageant un même intérêt satisfait par la magie du marché.
Par ailleurs le libéralisme sous entend quand il ne l'affirme pas que les inégalités sont justes car elles sont méritées, mais est-ce vraiment le cas ?
3.1 L'antagonisme de classe
Selon Marx la société n'est pas comme l'affirme les libéraux la somme des intérêts bien compris. Au contraire, la société est divisée en groupes distincts dont les intérêts s'opposent. La classe bourgeoise et la classe prolétaire ont des intérêts opposés. Cet antagonisme de classe bien que nié par les libéraux et l'idéologie bourgeoise est pourtant difficile à contredire. Il suffit pour en démontrer l'existence de regarder quels sont les seuls moyens possibles pour que le capitaliste augmente son profit. Le seul présupposé dont on aura besoin pour le démontrer nous le trouverons chez les libéraux eux-mêmes ou chez toute personne de bon sens : « Le capitaliste cherche à faire du profit »
Les implications logiques de cet énoncé sont suffisantes pour démontrer l’existence de l'antagonisme de classe. Nous allons le démontrer par un schéma logique permettant de voir toutes les possibilités permettant d’accroître le profit.
Comme on peut le remarquer à chiffre d'affaire constant le seul levier efficace est de comprimer la masse salariale. Autrement dit, geler ou baisser les salaires et licencier. Rassurons- nous, cela est rendu possible par l'augmentation constante de la productivité.
Au sein d'une entreprise la valeur ajoutée (la création de richesse créée par le travail) est partagée entre le capital et les salaires. Autrement dit, pour habiller Paul, il faut déshabiller Jacques. Nier l'antagonisme de classe c'est nier tout simplement l'existence des mathématiques.
⦁ L'idéologie bourgeoise
L'idéologie bourgeoise sert à masquer ce rapport de domination,.Selon Marx, les théories libérales ne servent qu'à dissimuler l'exploitation de la classe ouvrière par la classe bourgeoise. Reprenons les principaux arguments en faveur du libéralisme économique et mettons les à l'épreuve du réel.
1.L'argument méritocratique : les inégalités sont justes car méritées dans la mesure où l'égalité de droit est garantie.
Mettre à l'épreuve du réel un argument philosophique et économique c'est le confronter aux données de la sociologie c'est à dire à la science en charge d'étudier les faits sociaux. Hélas, le verdict est sans appel, le mérite est si difficile à percevoir dans la poursuite des avantages socio-économiques qu'on doit reconnaître son inexistence.
Pierre Bourdieu a mis à jour les mécanismes de la reproduction sociale :il montre que la trajectoire sociale d'un individu est déterminée par sa naissance. Notre destin social dépend principalement de trois capitaux hérités de notre famille
Le capital économique : L'ensemble des revenus et du patrimoine familiale est déterminant dans la reproduction sociale.
Le capital culturel : Celui-ci est déterminant et a été mis à jour par Bourdieu. C'est l'ensemble des savoirs et des pratiques culturels détenus par la famille. Bourdieu montre la violence symbolique dont son victime les enfants des milieux populaires en entrant à l'école. Leur culture n'a aucune valeur sur le marché scolaire et ils devront redoubler d'effort pour rattraper le niveau culturel des enfants issus des classes dominantes de la société et cela ne sera possible que grâce à des circonstances externes extraordinaires. Pire encore, obtenir un niveau égale à leurs camarades mieux nés ne leur permettra pas nécessairement de les valoriser dans des filières sélectives et ce en raison de l'absence du capital économique et social nécessaire. En CPGE (classe préparatoire au grandes écoles) les enfants d'ouvriers ne représentent qu'entre 4 à 6 % des effectifs alors qu'ils sont 32% en 6e. A l'inverse les enfants de cadres et d'enseignants représentent 54% des effectifs en CPGE et 15% en 6e. Le déterminisme sociale n'est pas absolu, certains enfants des classes dominées appartiendront aux classes dominantes de la société mais cela reste rare. La violence symbolique exercée contre les enfants des classes populaires et d'autant plus cruelle qu'on les rend responsables de leurs échecs afin qu'ils intègrent leur infériorité et qu'il ne remette pas en cause l'ordre social.
Le capital social : Le milieu dans lequel nous vivons nous permet de connaître des personnes qui peuvent nous aider, un capital social élevé permet d'obtenir des avantages concrets et symboliques.( stages, postes, recommandations, réseau clientèle etc.)
Le mérite n'est donc qu'une illusion et une idéologie utile aux dominants pour justifier en toute mauvaise foi les avantages qui sont les leurs et des inégalités aussi formidables que scandaleuses.
L'Etat bourgeois justifie les inégalités par le mérite qu'il sait ne pas exister ( les chiffres présentés ici proviennent de L’INSEE) et redouble de mépris cette mascarade en allouant plus de moyens à l'éducation des dominants. Mépris d'autant plus féroce qu'il met en avant la responsabilité individuelle des enfants et de leurs parents pour faire oublier la sienne.
2 L'argument des inégalités fécondes
Cet argument est simple, il affirme que les agents économiques doivent être libres et que le marché ne doit pas être limité par une justice distributive qui empêcherait la création de richesses : Baissons l'imposition des riches, ils investiront et la croissance détruira le chômage.
Cet argument est si simple qu'il semble évident et pourtant... Disons le encore une fois, pour démasquer une idéologie il suffit d'observer si elle correspond à quelques réalités.
Depuis les années 1980, à l'initiative de Reagan et Thatcher le monde s'est libéralisé, le résultat est sans appel :
En 22 ans de classement «Challenges», le produit intérieur brut (PIB) français a à peine doublé, passant de 1259 milliards d'euros en 1996 à 2222 en 2017. Dans le même temps, la fortune des 500 personnes les plus riches de France du classement Challenges a été multipliée par sept, passant de 80 à 571 milliards d'euros de 1996 à 2017. La fortune cumulée des 10 Français les plus riches a été multipliée par 12.
«Le nombre de milliardaires en France est passé d'une dizaine au début de notre classement, en 1996, à maintenant plus de 90», expose au «Parisien» Eric Tréguier, journaliste de «Challenges»
Depuis le premier classement, la fortune de Serge Dassault a été multipliée par 20. En 2019, la fortune cumulée des Français les plus riches représente «30 % du PIB français. Elle ne représentait que 6,4 % du PIB en 1996. Autre constat de ce nouveau classement : les riches sont de plus en plus riches. Il suffisait d'avoir 14 millions d'euros en 1996 pour entrer dans le classement des 500 Français les plus fortunés. Un chiffre qui a augmenté au fil des années pour atteindre, cette année, 130 millions d'euros. » Le parisien
« LA FRANCE N’ÉCHAPPE PAS À LA CRISE DES INÉGALITES
Le fossé entre riches et pauvres atteint également des sommets. En 2017,les 10% les plus riches détiennent plus de la moitié des richesses alors que les 50% les plus pauvres se partagent à peine 5% du gâteau. Au sommet de la pyramide, les richesses sont également extrêmement mal partagées et les 1% les plus riches en sortent particulièrement gagnants: ils possèdent à eux seuls22% des richesses en 2017 alors qu’ils n’en possédaient que 17% en 200786. Si les plus riches accumulent ainsi davantage de richesses, c’est parce qu’ils sont les premiers bénéficiaires des fruits de la croissance: en 2017, 28% des richesses créées en France ont profité aux 1% les plus riches alors que les 50% les plus pauvres ne se sont partagés que 5%de cette croissance. Une tendance à l’accroissement des richesses qui devrait s’accentuer davantage encore à la suite de la dernière réforme fiscale87du gouvernement qui profitera essentiellement aux plus aisés comme Oxfam l’a révélé dans un rapport en septembre 201788. Un constat confirmé dans une dernière étude de l’OFCE89qui montre que les 5% les plus riches devraient capter 42% des gains liés à la réforme, les 1% les plus riches bénéficieront même d’une hausse revenus de 9600€ en 2018 contre une baisse moyenne de 60€ pour les 5% les plus pauvres.
Aux deux extrêmes, la situation est encore plus saisissante: en 20 ans, la fortune totale des dix plus grandes fortunes françaises a été multipliée par 12 pendant que le nombre de pauvres augmentait de 1,2 millions de personnes. Résultat: en 2017, seuls 32 milliardaires français possèdent autant que les 40 % les plus pauvres de la population française. Au total, le nombre de milliardaires français en dollars est passé de 15 à 38 en France et leur richesse cumulée a été multipliée par plus de trois depuis 2009 » Rapport Oxfam
Bref, ce que l'on appelle ironiquement la théorie du ruissellement n'existe pas, ce qui existe, au contraire c'est, comme Marx l'a montré, une accumulation du capital qui tend à devenir une appropriation généralisée de la richesse d'un pays. La baisse de la fiscalité a favorisé une explosion incroyable des inégalités à tel point que même le FMI s'en inquiète...26 milliardaires sont aujourd'hui aussi riches que la moitié de l'humanité. On attend toujours que cela ruisselle...
Voilà déconstruits les deux grands arguments en faveur du libéralisme économique, la sociologie montre que les inégalités ne sont pas méritées et donc justifiées moralement et l'économie que les inégalités ne sont efficaces que pour enrichir les plus riches. Dès lors, on se demande pourquoi le peuple ne se soulève pas massivement pour réduire les inégalités. Certes, leurs défenseurs n'ont pas la science avec eux mais ce sont eux qui informent la masse, il n'existe pratiquement plus de journaux n'appartenant pas à des milliardaires, la théorie du ruissellement ou des premiers de cordée a de beaux jours devant elle..
3.3 La lutte des classes
1. Sur-travail et plus-value
Selon Marx l'antagonisme de classe est en réalité l'exploitation de la classe laborieuse par la classe capitaliste.
Dans le mode de production capitaliste, la seule liberté dont bénéficie le travailleur est de vendre sa force de travail au capitaliste. Le travailleur devient une marchandise qui s'échange sur le marché du travail.
Or, celui-ci, lui achète en- dessous de sa valeur, la différence entre la valeur produite par l'ouvrier et son salaire correspond au sur- travail. Ce sur-travail correspond du côté du capitaliste à la plus-value. Le sur- travail est donc la seule source de profit.
Marx montre que l'antagonisme de classe a toujours été présent dans l'histoire sous des formes différentes : « Seule la forme sous laquelle [le] surtravail est extorqué au producteur immédiat, l’ouvrier, distingue les formations sociales économiques, par exemple la société esclavagiste de celle du travail salarié. »
Propriétaire citoyen seigneur capitaliste
Producteur esclave cerf prolétaire
2. Vive la crise, vive le chômage
Marx montre que le salaire payé n'est pas lié à la valeur ajoutée crée par l'ouvrier mais au minimum permettant de reconduire sa force de travail (salaire de subsistance).
Le pourcentage de la valeur ajoutée allant au salaire et au profit dépend aussi de la lutte des classes. Du rapport de force entre prolétaire et bourgeois en ce qui concerne le mode de production capitaliste.
Exemple : le tournant libéral des années 1980
La conversion au libéralisme, certains diront au néo-libéralisme des grandes puissances économiques ainsi que la mondialisation des échanges permisespar la victoire idéologique des capitalistes leur a permis d'avoir l'avantage dans cette lutte.
L'idéologie bourgeoise véhiculée par les médias de masse américains a permis aux capitalistes de confisquer la valeur ajoutée créée par tous les travailleurs américains sans que ceux-ci n'arrivent à renverser le pouvoir de force de la lutte des classes. Le champion du monde du capitalisme financier Warren buffet se fait philosophe et Marxiste quand il affirme en toute franchise :
« Oui, il y a bel et bien une guerre des classes, mais c'est ma classe, la classe des riches qui fait la guerre et c'est nous qui gagnons. »
Depuis les années 1980, la dette des États comme le chômage ne cessent de monter, « c'est la crise... » dit-on. Les libéraux comme les capitalistes ne manquent pas d'idées pour résoudre le problème :
- baisser le SMIC
⦁ baisser les cotisations sociales
⦁ faciliter les licenciements
⦁ baisser les allocations versées aux chômeurs
Mais, selon Marx, il ne sert à rien des les écouter car en réalité ce qui permet aujourd'hui comme hier aux capitalistes de confisquer une plus grande part de la valeur-ajoutée c'est justement le chômage.
En effet, nous l'avons vu, la force de production du travailleur se vend sur le marché du travail. Or, le marché du travail obéit à la loi de tout marché : celle de l'offre et de la demande. Quand l'offre est supérieure à la demande (cas du chômage) le prix baisse. Quand la demande est supérieure, le prix baisse.
Le chômage permet donc de baisser le coût du travail, d'augmenter les cadences, de dégrader les conditions de travail et donc d'augmenter le profit. C'est ainsi que Marx dira que les chômeurs forment « l'armée de réserve du capitalisme ». Le chômage agit comme la menace la plus violente à l'encontre des travailleurs et permet aux capitalistes d'obtenir d'eux tout ce qu'ils désirent. Dés lors, les travailleurs ont le choix entre le chômage et les slave-jobs.
Encadré 4: Incapables de tenir la main de leurs enfants
Aux États-Unis, Oxfam œuvre aux côtés d'employé-e-s de l'industrie volaillère dans le cadre d'une campagne en faveur d'une amélioration des conditions de travail déplorables qui leur sont imposées. La main-d'œuvre n'est pas autorisée à prendre suffisamment de pauses pour aller aux toilettes, si bien qu'une bonne partie doit porter des couches pour travailler. Dolores, ancienne employée dans une usine de transformation de volailles dans l'Arkansas, témoigne: «C'était totalement dévalorisant. Nous arrivions à 5heures du matin et travaillions jusqu'à 11 ou 12heures sans aller aux toilettes. J'avais honte de leur dire que je devais changer ma couche». Le travail est également dangereux, avec l'un des taux de blessures les plus élevés tous secteurs confondus. Les microtraumatismes répétés peuvent être si graves qu'après seulement un an sur les lignes de production, certain-e-s employé-e-s ne pouvaient plus déplier leurs doigts, tenir une cuillère ou même tenir correctement la main de leurs enfants.
3. 4 Le communisme
Selon Marx, la lutte des classes doit mener vers la destruction du capitalisme et l'instauration du communisme c'est à dire la suppression de la classe bourgeoise et donc de toute classe sociale. Les conditions des travailleurs s'amélioreront car ils se réapproprieront la plus-value. Il s'agit donc de socialiser les moyens de production, ce qui se fera, dans un premiers temps par la dictature du prolétariat. Le communisme verra jour par la suite avec la disparition de l'Etat.
Le problème c'est que la dictature du prolétariat exige une révolution violente et risque de s'éterniser et de devenir une dictature éternelle.
Remarque :
La critique Marxiste du capitalisme doit par ailleurs être complétée par une critique écologique dans la mesure où le capitalisme est par essence un système productif fondé sur la croissance, c'est à dire sur une augmentation exponentielle de la consommation de ressources naturelles. Or, une croissance infinie dans un monde fini n'est pas réaliste. Le monde exige à très court terme une décroissance soit de l'économie soit de la population mondiale au risque de voir s'effondrer toutes les structures économiques et politiques qui régissent notre monde. Mais, là encore, le monde politique reste sourd face à la raison scientifique et demande aux hommes d'être au service de l'économie alors même que le bon sens exige l'inverse.