La justice

A quelles conditions un Etat est-il légitime ? doit-il d'abord assurer la sécurité ? Doit-il protéger les libertés individuelles ? Doit-il établir l'égalité ?

Contributions des philosophes aux débats politiques...

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La justice distributive

Ce qui distingue l'Etat d'une bande de pirates c'est sa légitimité et celle-ci ne peut exister sans que l'Etat ne consacre le peuple comme souverain. Autrement dit le rôle de l'Etat est de préserver la liberté de tous et de permettre la coopération des hommes entre eux. Cf cours sur la liberté
Il reste donc à savoir ce qu'il faut faire des fruits de cette coopération. Ce problème est celui de la justice distributive. On se demandera ici ce qu'il faut qu'il revienne à chacun afin que la distribution des avantages et des richesses soit juste.

Introduction: l'inégalité juste.

On conçoit souvent la justice sur le modèle d'une balance équilibrée. Aristote souligne au livre V de l'Ethique à Nicomaque que la justice à toujours à voir avec une certaine forme d'égalité. Aristote distingue deux formes de justice politique qui s'incarnent dans les lois.

La première est la justice correctrice ou commutative :
Elle sert à régler les rapports entre individus sans considération pour leurs statuts ou leurs qualités. Si ces rapports sont librement consentis on parle d'échanges contractuels, s'ils sont involontaires on parle alors de délits ou de dommages. Cette forme de justice obéit au principe de l'égalité arithmétique, elle s'exprime donc ainsi :
A = B
Par exemple, dans le cas d'un échange contractuel, A peut représenter une poule et B peut représenter 5 Euros. Nul ne consentirait librement à échanger une poule contre la valeur d'une baleine, les échanges libres sont donc, en principe, toujours égaux.

Au contraire, si vous subissez un dommage vous devez bénéficier d'une réparation équivalente à ce que vous avez subi. A représente la situation initiale et B la situation finale. Autrement dit si on vous vole une poule on doit vous en rendre une et éventuellement les œufs qu'elle aurait du pondre (dommages et intérêts).


La seconde est la justice distributive :
Elle sert à distribuer les honneurs et les richesses de la cité. Elle sert donc à régler les rapports entre les individus et la cité ou l'Etat. Contrairement à la justice correctrice le statut et la qualité des individus est pris en compte. Cette forme de justice obéit au principe de l'égalité géométrique, elle s'exprime donc ainsi :
A/B = C/D
A et C expriment la valeur de deux individus distincts et B et C les honneurs et les richesses qu'ils reçoivent. On comprend ici que A et B ne reçoivent pas la même chose, nous sommes face à une inégalité absolue. Cependant, cette inégalité est une égalité de rapport : « A chacun selon son dû »

Selon chaque société la valeur de l'individu lui permettant d'obtenir davantage d'honneurs et de richesses n'a pas la même signification.Dans la société d'ordre c'est votre naissance qui détermine ce que vous devez recevoir : il vaut mieux naître noble que paysan...
Mais nous avons déjà montré que seul un état qui garantit l'égalité devant la loi est légitime, dès lors, ce n'est que par son action qu'un homme prouvera sa valeur, le mérite remplace la naissance.
Nous pouvons donc affirmer que toute inégalité de distribution n'est pas injuste dés lors qu'elle est  méritée : « A chacun selon son mérite »

1. Première thèse:   L'échange libre comme idéal social

  Commençons par dire que l'idée de justice distributive, en elle même est pernicieuse puisqu'elle semble impliquer logiquement l'intervention d'un tiers dans la société pour organiser la répartition des honneurs et des richesses ou pour parler la langue d'aujourd'hui des avantages socio-économiques. Pourtant, rien n'oblige à recourir à l'Etat ou tout autre pouvoir transcendant pour cela. Par ailleurs, avant même de chercher à distribuer quoi que que ce soit encore faut-il l'avoir créé.

1.1 L'argument moral

  Quelque soit le contrat social qui nous lie à l'Etat celui-ci doit garantir la protection de notre liberté. L'Etat détient le monopole de la violence légale, son pouvoir coercitif est immense et la première des priorités est donc de s'en protéger, d'éviter qu'il ne viole notre liberté. Et cela n'est pas chose facile il n'est qu'à considérer le monde dans lequel nous vivons.

  Chacun d'entre nous doit disposer d'un droit inaliénable à disposer de sa propre personne, il s'agit là d'un droit naturel qui précède le droit positif (l'ensemble des textes de lois, le droit en tant qu'institution humaine). La seule chose qui devrait être permise au droit positif est de protéger notre droit naturel, c'est à dire notre liberté. Ce principe qui devrait régir les lois et aussi celui qui doit régir la morale et que l'on trouve énoncé sous la plume de Kant : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »
Précisons : l'homme est un être rationnel et dont la dignité relève en cela seul qu'il est capable de se donner à lui- même sa propre fin, c'est à lui que revient de décider quels sont ses buts et quel sens il veut donner à sa vie. Cf. le devoir Que l'on me viole, que l'on me pille, que l'on me réduise en esclavage cela revient toujours à faire de moi un moyen. Les hommes ne sont pas des moyens qu'un autre homme ou qu'un groupe d'individus peuvent utiliser à leurs propres fins. Etre un homme c'est être une fin en soi. Dés lors on comprend le dangers que l'Etat représente pour nos droits naturels, lisons Nozick :

« Et ces droits sont d’une telle force et d’une telle portée qu’ils soulèvent la question de ce que peuvent faire l’État et ses commis – si tant est qu’ils puissent faire quelque chose. Quelle place les droits de l’individu laissent-ils à l’État ? » Anarchie, Etat et utopie

  On se demande ce que l'Etat nous permet de faire, sa tutelle est si puissante qu'on oublie que c'est nous qui devrions décider de ce qu'il lui est permis de faire.
  Or l'idée même de justice distributive est déjà une attaque contre ma liberté, contre mon droit naturel car elle implique de me contraindre, de m'utiliser comme un moyen au service d'autrui.
Le philosophe américain Nozick tire les conclusions nécessaires de cette opposition :                                                 


 

Texte 1

« Nos principales conclusions se résument à ceci : un État minimal, qui se limite à des fonctions étroites de protection contre la force, le vol, la fraude, à l’application des contrats, et ainsi de suite, est justifié ; tout État un tant soit peu plus étendu enfreindra les droits des personnes libres de refuser d’accomplir certaines choses, et il n’est donc pas justifié ; enfin, l’État minimal est aussi vivifiant que juste. Deux implications méritent d’être signalées : l’État ne saurait user de la contrainte afin d’obliger certains citoyens à venir en aide aux autres, ni en vue d’interdire aux gens certaines activités pour leur propre bien ou leur protection. » Etat, anarchie et utopie

                                                              

Ce que l'Etat doit faire Ce que l'Etat ne doit pas faire
Protéger ma personne Aide sociale, salaire minimum...
Protéger mes biens Sécurité sociale
Protéger les contrats libres Interdire la prostitution
Protéger de la fraude Interdire l'usage de drogues
C'est tout. Etc.

 

 

Dans ce tableau on trouve des exemples concrets de ce que l'Etat doit et ne doit pas faire selon Nozick. On remarquera au passage que l'Etat français en cherchant à remplir des tâches qui ne lui reviennent pas néglige trop souvent ce qui fonde sa légitimité. La police perd son temps et ses moyens à courir vainement derrière les dealers de haschischs pendant qu'une femme meure tous les 3 jours sous les coups de son conjoint. 

     

Nozick ne vous demande pas de vous droguer, il affirme juste que ce n'est pas le rôle de l'Etat de vous en empêcher par la violence. Je ne suis pas à l'aise, à titre personnel, avec la différence d'âges dans les couples, dois-je faire voter une loi afin que ce scandale cesse ? Chacun d'entre nous a une conception de ce qu'est la vie bonne, pourquoi dès lors interdire certaines pratiques au vue de principes philosophiques personnels ? Il n'y a rien de démocratique à imposer une conception de la vie particulière à un peuple, c'est ce qu'on reproche d'ordinaire au totalitarisme.
Vous êtes contre les pesticides et la destruction systématique de nos écosystèmes ? L'Etat s'en moque, vos impôts financerons l'agriculture productivistes et les entrants dont elle a besoin.
Vous êtes contre la guerre ? L'Etat n'en a que faire, vos impôts financeront une guerre en Irak
Vous n'aimez pas les enfants (personne n'aime ceux des autres d'ailleurs) L'Etat s'en moque, vos impôts financeront leurs allocations.

Vous avez compris, la démocratie qui se mêle de justice distributive se transforme en une machine à faire de vous des esclaves, c'est à dire des moyens au service d'autrui.
Ce qui serait juste c'est de respecter la liberté humaine et c'est de nos droits individuels que doit découler la répartition des biens. Une situation économique est juste si et seulement si elle résulte d'un transfert légitime, c'est à dire librement consentie.


⦁    une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice concernant l’acquisition est habilitée à cette possession ;
⦁    une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice gouvernant les transferts, de la part de quelqu’un d’autre habilité à cette possession, est habilité à cette possession ;
⦁    nul n’est habilité à une possession si ce n’est par application (répétée) des deux premières propositions. Nozick


  Il suit de cela que toute tentative pour corriger des inégalités provenant de l'ensemble des transferts légitimes est injuste et liberticide. Nozick prend l'exemple du basketteur Wilt Chamberlin et imagine qu'il propose à ceux qui viennent le voir jouer de verser un supplément. A la fin de la saison, l'inégalité entre Wilt Chamberlin et ses supporters a augmenté mais en quoi pouvons nous dire que cette situation est injuste et qu'il faut la corriger par une intervention extèrieure ? Le droit individuel à disposer comme on l'entend de son propre corps implique de pouvoir user de nos talents , de nos efforts et des fruits de notre travail comme on le désire. Je suis le seul propriétaire de mes dons et de la richesse qu'il m'apporte.
  Ainsi, un Etat qui outrepasse ses fonctions de protection réduit l'ensemble de son peuple à l'esclavage en le privant de son droit naturel à disposer de lui- même et de son droit de propriété. Hélas, nous travaillons pour l'Etat avant de travailler pour nous même, nous vivons selon son idéal et nous nous soumettons au sens qu'il veut donner à notre vie. Rien n'est plus injuste et pire encore... rien n'est plus inefficace.

⦁    L'argument économique

  La justice distributive implique une intervention de l'Etat dans la sphère économique et celle-ci est non seulement injuste comme nous l'avons vu mais elle est aussi inutile, inefficace et dangereuse. Le libre jeux des transferts volontaires est plus apte à créer des richesse sans la contrainte de la justice distributive. Cette dernière en allant à l'encontre des intérêts économiques des individus limite leurs capacités d'innovations et d'investissements. Adam Smith explique pourquoi :


 

« Mais le revenu annuel de toute société est toujours précisément égal à la valeur échangeable de tout le produit annuel de son industrie, ou plutôt c'est précisément la même chose que cette valeur échangeable. Par conséquent, puisque chaque individu tâche, le plus qu'il peut, premièrement d'employer son capital à faire valoir l'industrie nationale, et deuxièmement de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. A la vérité, son intention, en général, n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir. » Adam Smith, De la richesse des nations

Le PIB d'un pays est la somme des valeurs ajoutées, le revenu annuel de toute société dépend donc du revenu dégagé par l'investissement du capital des individus. Donc en cherchant à s'enrichir chacun enrichit la société. Le paradoxe que met à jour Smith est intéressant : c'est en cherchant à satisfaire mes intérêts égoïstes que je réalise l'intérêt général. D'un point de vue moral, on peut penser que l’égoïsme est une vilaine chose et l'avidité un vice insupportable. On remarque à l'ironie dont use Smith à la fin du texte qu'il n'admire guère les marchands, mais, ici ce qui compte c'est que l'intérêt privé sert inconsciemment et involontairement l'intérêt général. La main invisible dont parle Smith n'est pas celle du marché comme on l'entend trop souvent partout et n'est pas non plus une théorie, cette métaphore signifie seulement que nous ignorons lorsque nous recherchons à accroître notre capital par l'investissement productif que nous réalisons des fins utiles à tous.

"Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme." Adam Smith, De la richesse des nations

  Pour chercher à satisfaire mes intérêts, je dois chercher à satisfaire les intérêts d'autrui voilà pourquoi il faut laisser libres les investisseurs. De là vient que l'on parle de libéralisme et que l'on attribue à Smith la paternité de ce courant politique et économique.
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  Le libéralisme permet à chacun d'exprimer ses talents et d'en tirer des avantages socio-économiques. Chacun recevra ainsi ce qu'il mérite en fonction de sa capacité à produire des richesses qui constitueront de fait l'intérêt général. Ce qui ne m'empêche en rien d'aider les plus démunis si tel est mon désir.
Ainsi le capitalisme ( système économique qui se caractérise par la propriété privée des moyens de production, l’importance de l’initiative individuelle en matière d’entreprise, la recherche systématique du profit et son réinvestissement systématique et, en général, par le rôle du marché concurrentiel) combiné au libéralisme économique (L’Etat n’a pas à intervenir dans l’économie : il doit laisser libre cours aux acteurs privés qui échangent dans le cadre d’un marché concurrentiel) forment  «l’économie de marché» qui seule permet de créer efficacement de la richesse en respectant les droits de chacun.

Remarquons que le libéralisme de Smith est mesuré puisqu'il autorise  l'intervention de l'Etat en ce qui concerne la création et l'entretien des infrastructures utiles à l'économie ou à l'enseignement. Mais nous pouvons aller plus loin et refuser avec Hayek toute intervention de l'Etat sur le marché si ce n'est pour en garantir le libre jeux de la concurrence. Il est impossible à ceux qui exercent le pouvoir de coordonner l'ensemble des informations que le marché coordonne spontanément. Voilà pourquoi toute tentative de planifications économiques est vouée à l'échec. Le marché est l'institution la plus efficace pour produire et échanger des biens et c'est pour cela qu'au terme d'un procédé d'essais et d'erreurs il a été sélectionné par l'histoire. Certes, le marché crée des inégalités mais il améliore in fine la condition de tous par sa formidable capacité à produire des richesses.

3 Le juste comme l'égal

  Le marché est certes créateur de richesses et il faut reconnaître que toute inégalité n'est pas nécessairement illégitime. Pour autant, si l'on referme nos livres d'économie pour parcourir du regard le monde et ses extraordinaires inégalités, on ne peut qu'être étonné d'entendre parler des vertus du libre marché. Ce monde nous dit-on, est le meilleur possible et l'intervention de l'Etat ne pourrait qu'empirer ce que nous voyons, mais est-ce bien vrai ?

  Loin des beaux discours qui nous invite patrons et employés à nous donner la main pour renouer avec la croissance et à nous serrer la ceinture pour enrayer la dette, Marx affirme que la société n'est pas un ensemble d'individus partageant un même intérêt satisfait par la magie du marché.

  Par ailleurs le libéralisme sous entend quand il ne l'affirme pas que les inégalités sont justes car elles sont méritées, mais est-ce vraiment le cas ?

            3.1 L'antagonisme de classe

Selon Marx la société n'est pas comme l'affirme les libéraux la somme des intérêts bien compris. Au contraire, la société est divisée en groupes distincts dont les intérêts s'opposent. La classe bourgeoise et la classe prolétaire ont des intérêts opposés. Cet antagonisme de classe bien que nié par les libéraux et l'idéologie bourgeoise est pourtant difficile à contredire. Il suffit pour en démontrer l'existence de regarder quels sont les seuls moyens possibles pour que le capitaliste augmente son profit. Le seul présupposé dont on aura besoin pour le démontrer nous le trouverons chez les libéraux eux-mêmes ou chez toute personne de bon sens : «  Le capitaliste cherche à faire du profit »
Les implications logiques de cet énoncé sont suffisantes pour démontrer l’existence de l'antagonisme de classe. Nous allons le démontrer par un schéma logique permettant de voir toutes les possibilités permettant d’accroître le profit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Comme on peut le remarquer à chiffre d'affaire constant le seul levier efficace est de comprimer la masse salariale. Autrement dit, geler ou baisser les salaires et licencier. Rassurons- nous, cela est rendu possible par l'augmentation constante de la productivité.

 
Au sein d'une entreprise la valeur ajoutée (la création de richesse créée par le travail) est partagée entre le capital et les salaires. Autrement dit, pour habiller Paul, il faut déshabiller Jacques. Nier l'antagonisme de classe c'est nier tout simplement l'existence des mathématiques.


⦁    L'idéologie bourgeoise

L'idéologie bourgeoise sert à masquer ce rapport de domination,.Selon Marx, les théories libérales ne servent qu'à dissimuler l'exploitation de la classe ouvrière par la classe bourgeoise. Reprenons les principaux arguments en faveur du libéralisme économique et mettons les à l'épreuve du réel.

1.L'argument méritocratique : les inégalités sont justes car méritées dans la mesure où l'égalité de droit est garantie.

Mettre à l'épreuve du réel un argument philosophique et économique c'est le confronter aux données de la sociologie c'est à dire à la science en charge d'étudier les faits sociaux. Hélas, le verdict est sans appel, le mérite est si difficile à percevoir dans la poursuite des avantages socio-économiques qu'on doit reconnaître son inexistence.

 


Pierre Bourdieu a mis à jour les mécanismes de la reproduction sociale :il montre que la trajectoire sociale d'un individu est déterminée par sa naissance. Notre destin social dépend principalement de trois capitaux hérités de notre famille

Le capital économique : L'ensemble des revenus et du patrimoine familiale est déterminant dans la reproduction sociale.

Le capital culturel : Celui-ci est déterminant et a été mis à jour par Bourdieu. C'est l'ensemble des savoirs et des pratiques culturels détenus par la famille. Bourdieu montre la violence symbolique dont son victime les enfants des milieux populaires en entrant à l'école. Leur culture n'a aucune valeur sur le marché scolaire et ils devront redoubler d'effort pour rattraper le niveau culturel des enfants issus des classes dominantes de la société et cela ne sera possible que grâce à des circonstances externes extraordinaires. Pire encore, obtenir un niveau égale à leurs camarades mieux nés ne leur permettra pas nécessairement de les valoriser dans des filières sélectives et ce en raison de l'absence du capital économique et social nécessaire. En CPGE (classe préparatoire au grandes écoles) les enfants d'ouvriers ne représentent qu'entre 4 à 6 % des effectifs alors qu'ils sont 32% en 6e. A l'inverse les enfants de cadres et d'enseignants représentent 54% des effectifs en CPGE et 15% en 6e. Le déterminisme sociale n'est pas absolu, certains enfants des classes dominées appartiendront aux classes dominantes de la société mais cela reste rare. La violence symbolique exercée contre les enfants des classes populaires et d'autant plus cruelle qu'on les rend responsables de leurs échecs afin qu'ils intègrent leur infériorité et qu'il ne remette pas en cause l'ordre social.

Le capital social : Le milieu dans lequel nous vivons nous permet de connaître des personnes qui peuvent nous aider, un capital social élevé permet d'obtenir des avantages concrets et symboliques.( stages, postes, recommandations, réseau clientèle etc.)

 

Le mérite n'est donc qu'une illusion et une idéologie utile aux dominants pour justifier en toute mauvaise foi les avantages qui sont les leurs et des inégalités aussi formidables que scandaleuses.
L'Etat bourgeois justifie les inégalités par le mérite qu'il sait ne pas exister ( les chiffres présentés ici proviennent de L’INSEE) et redouble de mépris cette mascarade en allouant plus de moyens à l'éducation des dominants. Mépris d'autant plus féroce qu'il met en avant la responsabilité individuelle des enfants et de leurs parents pour faire oublier la sienne.


2 L'argument des inégalités fécondes

Cet argument est simple, il affirme que les agents économiques doivent être libres et que le marché ne doit pas être limité par une justice distributive qui empêcherait la création de richesses : Baissons l'imposition des riches, ils investiront et la croissance détruira le chômage.
Cet argument est si simple qu'il semble évident et pourtant... Disons le encore une fois, pour démasquer une idéologie il suffit d'observer si elle correspond à quelques réalités.
Depuis les années 1980, à l'initiative de Reagan et Thatcher le monde s'est libéralisé, le résultat est sans appel :

En 22 ans de classement «Challenges», le produit intérieur brut (PIB) français a à peine doublé, passant de 1259 milliards d'euros en 1996 à 2222 en 2017. Dans le même temps, la fortune des 500 personnes les plus riches de France du classement Challenges a été multipliée par sept, passant de 80 à 571 milliards d'euros de 1996 à 2017. La fortune cumulée des 10 Français les plus riches a été multipliée par 12.

«Le nombre de milliardaires en France est passé d'une dizaine au début de notre classement, en 1996, à maintenant plus de 90», expose au «Parisien» Eric Tréguier, journaliste de «Challenges»
Depuis le premier classement, la fortune de Serge Dassault a été multipliée par 20. En 2019, la fortune cumulée des Français les plus riches représente «30 % du PIB français. Elle ne représentait que 6,4 % du PIB en 1996. Autre constat de ce nouveau classement : les riches sont de plus en plus riches. Il suffisait d'avoir 14 millions d'euros en 1996 pour entrer dans le classement des 500 Français les plus fortunés. Un chiffre qui a augmenté au fil des années pour atteindre, cette année, 130 millions d'euros. » Le parisien

« LA FRANCE N’ÉCHAPPE PAS À LA CRISE DES INÉGALITES
Le fossé entre riches et pauvres atteint également des sommets. En 2017,les 10% les plus riches détiennent plus de la moitié des richesses alors que les 50% les plus pauvres se partagent à peine 5% du gâteau. Au sommet de la pyramide, les richesses sont également extrêmement mal partagées et les 1% les plus riches en sortent particulièrement gagnants: ils possèdent à eux seuls22% des richesses en 2017 alors qu’ils n’en possédaient que 17% en 200786. Si les plus riches accumulent ainsi davantage de richesses, c’est parce qu’ils sont les premiers bénéficiaires des fruits de la croissance: en 2017, 28% des richesses créées en France ont profité aux 1% les plus riches alors que les 50% les plus pauvres ne se sont partagés que 5%de cette croissance. Une tendance à l’accroissement des richesses qui devrait s’accentuer davantage encore à la suite de la dernière réforme fiscale87du gouvernement qui profitera essentiellement aux plus aisés comme Oxfam l’a révélé dans un rapport en septembre 201788. Un constat confirmé dans une dernière étude de l’OFCE89qui montre que les 5% les plus riches devraient capter 42% des gains liés à la réforme, les 1% les plus riches bénéficieront même d’une hausse revenus de 9600€ en 2018 contre une baisse moyenne de 60€ pour les 5% les plus pauvres.
Aux deux extrêmes, la situation est encore plus saisissante: en 20 ans, la fortune totale des dix plus grandes fortunes françaises a été multipliée par 12 pendant que le nombre de pauvres augmentait de 1,2 millions de personnes. Résultat: en 2017, seuls 32 milliardaires français possèdent autant que les 40 % les plus pauvres de la population française. Au total, le nombre de milliardaires français en dollars est passé de 15 à 38 en France et leur richesse cumulée a été multipliée par plus de trois depuis 2009 » Rapport Oxfam

Bref, ce que l'on appelle ironiquement la théorie du ruissellement n'existe pas, ce qui existe, au contraire c'est, comme Marx l'a montré, une accumulation du capital qui tend à devenir une appropriation généralisée de la richesse d'un pays. La baisse de la fiscalité a favorisé une explosion incroyable des inégalités à tel point que même le FMI s'en inquiète...26 milliardaires sont aujourd'hui aussi riches que la moitié de l'humanité. On attend toujours que cela ruisselle...
Voilà déconstruits les deux grands arguments en faveur du libéralisme économique, la sociologie montre que les inégalités ne sont pas méritées et donc justifiées moralement et l'économie que les inégalités ne sont efficaces que pour enrichir les plus riches. Dès lors, on se demande pourquoi le peuple ne se soulève pas massivement pour réduire les inégalités. Certes, leurs défenseurs n'ont pas la science avec eux mais ce sont eux qui informent la masse, il n'existe pratiquement plus de journaux n'appartenant pas à des milliardaires, la théorie du ruissellement ou des premiers de cordée a de beaux jours devant elle..

 
                      

 

       3.3 La lutte des classes

1. Sur-travail et plus-value

Selon Marx l'antagonisme de classe est en réalité l'exploitation de la classe laborieuse par la classe capitaliste.
Dans le mode de production capitaliste, la seule liberté dont bénéficie le travailleur est de vendre sa force de travail au capitaliste.  Le travailleur devient une marchandise qui s'échange sur le marché du travail.


Or, celui-ci, lui achète en- dessous de sa valeur, la différence entre la valeur produite par l'ouvrier et son salaire correspond au sur- travail. Ce sur-travail correspond du côté du capitaliste à la plus-value. Le sur- travail est donc la seule source de profit.
 
Marx montre que l'antagonisme de classe a toujours été présent dans l'histoire sous des formes différentes : « Seule la forme sous laquelle [le] surtravail est extorqué au producteur immédiat, l’ouvrier, distingue les formations sociales économiques, par exemple la société esclavagiste de celle du travail salarié. »


Propriétaire    citoyen    seigneur    capitaliste
Producteur    esclave    cerf    prolétaire

2. Vive la crise, vive le chômage

Marx montre que le salaire payé n'est pas lié à la valeur ajoutée crée par l'ouvrier mais au minimum permettant de reconduire sa force de travail (salaire de subsistance).
Le pourcentage de la valeur ajoutée allant au salaire et au profit dépend aussi de la lutte des classes. Du rapport de force entre prolétaire et bourgeois en ce qui concerne le mode de production capitaliste.
Exemple : le tournant libéral des années 1980
La conversion au libéralisme, certains diront au néo-libéralisme des grandes puissances économiques ainsi que la mondialisation des échanges permisespar la victoire idéologique des capitalistes leur a permis d'avoir l'avantage dans cette lutte.

 

 
L'idéologie bourgeoise véhiculée par les médias de masse américains a permis aux capitalistes de confisquer la valeur ajoutée créée par tous les travailleurs américains sans que ceux-ci n'arrivent à renverser le pouvoir de force de la lutte des classes. Le champion du monde du capitalisme financier Warren buffet se fait philosophe et Marxiste quand il affirme en toute franchise :

« Oui, il y a bel et bien une guerre des classes, mais c'est ma classe, la classe des riches qui fait la guerre et c'est nous qui gagnons. »

Depuis les années 1980, la dette des États comme le chômage ne cessent de monter, «  c'est la crise... » dit-on. Les  libéraux comme les capitalistes ne manquent pas d'idées pour résoudre le problème :
      -    baisser le SMIC
⦁    baisser les cotisations sociales
⦁    faciliter les licenciements
⦁    baisser les allocations versées aux chômeurs

Mais, selon Marx, il ne sert à rien des les écouter car en réalité ce qui permet aujourd'hui comme hier aux capitalistes de confisquer une plus grande part de la valeur-ajoutée c'est justement le chômage.
 

En effet, nous l'avons vu, la force de production du travailleur se vend sur le marché du travail. Or, le marché du travail obéit à la loi de tout marché : celle de l'offre et de la demande. Quand l'offre est supérieure à la demande (cas du chômage) le prix baisse. Quand la demande est supérieure, le prix baisse.
 

Le chômage permet donc de baisser le coût du travail, d'augmenter les cadences, de dégrader les conditions de travail et donc d'augmenter le profit. C'est ainsi que Marx dira que les chômeurs forment « l'armée de réserve du capitalisme ». Le chômage agit comme la menace la plus violente à l'encontre des travailleurs et permet aux capitalistes d'obtenir d'eux tout ce qu'ils désirent. Dés lors, les travailleurs ont le choix entre le chômage et les slave-jobs.

Encadré 4: Incapables de tenir la main de leurs enfants
Aux États-Unis, Oxfam œuvre aux côtés d'employé-e-s de l'industrie volaillère dans le cadre d'une campagne en faveur d'une amélioration des conditions de travail déplorables qui leur sont imposées. La main-d'œuvre n'est pas autorisée à prendre suffisamment de pauses pour aller aux toilettes, si bien qu'une bonne partie doit porter des couches pour travailler. Dolores, ancienne employée dans une usine de transformation de volailles dans l'Arkansas, témoigne: «C'était totalement dévalorisant. Nous arrivions à 5heures du matin et travaillions jusqu'à 11 ou 12heures sans aller aux toilettes. J'avais honte de leur dire que je devais changer ma couche». Le travail est également dangereux, avec l'un des taux de blessures les plus élevés tous secteurs confondus. Les microtraumatismes répétés peuvent être si graves qu'après seulement un an sur les lignes de production, certain-e-s employé-e-s ne pouvaient plus déplier leurs doigts, tenir une cuillère ou même tenir correctement la main de leurs enfants.

   3. 4 Le communisme

Selon Marx, la lutte des classes doit mener vers la destruction du capitalisme et l'instauration du communisme c'est à dire la suppression de la classe bourgeoise et donc de toute classe sociale. Les conditions des travailleurs s'amélioreront car ils se réapproprieront la plus-value. Il s'agit donc de socialiser les moyens de production, ce qui se fera, dans un premiers temps par la dictature du prolétariat. Le communisme verra jour par la suite avec la disparition de l'Etat.
Le problème c'est que la dictature du prolétariat exige une révolution violente et risque de s'éterniser et de devenir une dictature éternelle.

 

Remarque :
La critique Marxiste du capitalisme doit par ailleurs être complétée par une critique écologique dans la mesure où le capitalisme est par essence un système productif fondé sur la croissance, c'est à dire sur une augmentation exponentielle de la consommation de ressources naturelles. Or, une croissance infinie dans un monde fini n'est pas réaliste. Le monde exige à très court terme une décroissance soit de l'économie soit de la population mondiale au risque de voir s'effondrer toutes les structures économiques et politiques qui régissent notre monde. Mais, là encore, le monde politique reste sourd face à la raison scientifique et demande aux hommes d'être au service de l'économie alors même que le bon sens exige l'inverse.