« Je parlerai souvent de la doctrine reçue que je viens de résumer comme du « dogme du fantôme dans la machine ». L’injure est délibérée. J’espère montrer que cette doctrine est complètement fausse, fausse en principe et non en détail car elle n’est pas seulement un assemblage d’erreurs particulières mais une seule grosse erreur d’un genre particulier, à savoir une erreur de catégorie.
En effet, cette théorie représente les faits de la vie mentale comme s’ils appartenaient à une catégorie (...) alors qu’en fait ils appartiennent à une autre catégorie. C’est la raison pour laquelle il s’agit d’un mythe de philosophe. (...)
Il me faut d’abord expliquer ce que j’entends par l’expression « erreur de catégorie » ; je le ferai en m’aidant d’une série d’exemples.
Un étranger visite pour la première fois Oxford ou Cambridge ; on lui montre des collèges, des bibliothèques, des terrains de sport, des musées, des laboratoires et des bâtiments administratifs. Cet étranger demande alors : « Mais, où est l’ Université ? J’ai vu où vivent les membres des collèges, où travaille le recteur, où les physiciens font leurs expériences et différents autres bâtiments, mais je n’ai pas encore vu l’université dans laquelle résident les membres de votre Université » Il faudra alors lui expliquer que l’Université n’est pas une institution supplémentaire, une adjonction aux collèges, laboratoires et bureaux qu’il a pu voir. L’université n’est que la façon dont tout ce qu’il a vu est organisé. Voir les divers bâtiments et comprendre leur coordination, c’est voir l’Université. L’erreur de cet étranger gît dans la croyance naïve qu’il est correct de parler de Christ Church College, de la Bodléienne, du musée Ashmolean et de l’université comme si cette dernière était un membre de la classe dont les institutions déjà mentionnées sont des membres. A tort, il logeait l’Université dans la même catégorie que celle à laquelle appartiennent les autres institutions. Ces erreurs de catégories ont en commun un trait qu’il faut noter. Les erreurs sont commises par des gens qui ne savent pas manier le concept d’université (...). Leur difficulté vient d’une inaptitude à user de certains termes du vocabulaire français. Certaines erreurs de cet ordre [peuvent être cependant] commises par des gens parfaitement capables d’appliquer des concepts, du moins dans des situations familières, mais susceptibles néanmoins, dans leur pensée abstraite, de ranger ces concepts sous des [catégories] auxquelles ils n’appartiennent pas. (…) Le propos de ma critique est de montrer qu’une famille d’erreurs de catégorie radicales se trouve à l’origine de la théorie de la double vie. La représentation de la personne humaine comme un fantôme ou un esprit mystérieux dans une machine dérive de cette théorie. A ce propos, il est vrai que la pensée, les sentiments, et les activités intentionnelles ne peuvent être décrits dans les seuls langages de la physique, de la chimie te de la physiologie. Les tenants du dogme de la double vie en ont conclu qu’ils devaient être décrits dans un langage parallèle. Puisque le corps humain est une unité complexe et organisé, l’esprit humain doit, selon eux, être une autre unité, également complexe et organisée, bien que différemment, constituée d’une autre substance et ayant un autre genre de structure. Ou encore, puisque le corps humain, comme toute autre parcelle de matière, est un champ de causes et d’effets, ils voient dans l’esprit un autre champ de causes et d’effets quoique (Dieu merci) non de causes et d’effets mécaniques. (...) Les différences entre le physique et le mental sont donc placées à l’intérieur du schéma commune des catégories de « chose », de « substance », d’ « attribut », d’ « état », de « processus », de « changement », de « cause » et d’ « effet ». L’esprit est considéré comme une chose différente du corps ; les processus mentaux sont des causes et des effets bien que d’un genre différent des mouvements corporels et ainsi de suite. De même que l’étranger s’attendait à ce que l’université soit un bâtiment supplémentaire, à la fois semblable aux collèges et considérablement différents d’eux, de même les détracteurs du mécanisme représentent l’esprit comme un centre supplémentaire de processus de causalité, assez semblable aux machines tout en différant considérablement d’elles. »
Gilbert Ryle, La notion d’esprit (1949)
Il s’agit de la conception cartésienne de l’esprit considérant ce dernier comme une « chose pensante » ou substance dont l’attribut essentiel est la pensée.
La personne serait animée d’une double vie, l’une corporelle, l’autre mentale.
Il s’agit des cartésiens, qui sont mécanistes en ce qui concerne la matière mais s’opposent aux mécanistes matérialistes qui réduisent l’esprit au corps.