« Disons nettement, tout d’abord, qu’à la vérité, « l’Art » n’a pas d’existence propre. Il n’y a que des artistes. En des temps très lointains, ce furent des hommes qui, à l’aide d’un morceau de terre colorée, ébauchaient les formes d’un bison sur les parois d’une caverne ; de nos jours ils achètent des couleurs et font des affiches ; dans l’intervalle, ils ont fait pas mal de choses. Il n’y a aucun inconvénient à nommer art l’ensemble de ces activités, à condition toutefois de ne jamais oublier que le même mot recouvre cent choses diverses, se situant différemment dans le temps et dans l’espace, à condition aussi de bien comprendre que l’Art avec un grand A n’existe pas. Il est de fait que, de nos jours, cette notion d’Art avec un grand A est devenue une espèce d’idole doublée d’un épouvantail. On peut écraser un artiste en lui disant que ce qu’il vient de faire n’est peut-être pas mal dans son genre, mais que ce n’est pas de l’ « Art ». Et on peut confondre un brave homme qui admire un tableau en lui affirmant que ce qu’il aime dans cette œuvre ce n’est pas l’Art lui-même, mais quelque chose d’autre ».
Ernst Gombrich, Histoire de l’art