L’invention de cette individualité plastique [la statue anthropomorphe] ne put naître avec cette perfection inégalable que chez les Grecs, et elle avait son principe dans la religion elle-même. Une religion spiritualiste [comme le christianisme] eut pu se contenter de la contemplation intérieure et de la méditation. Les ouvrages de la sculture n’auraient alors été regardés que comme un luxe superflu. Tandis qu’une religion qui s’adresse aux sens, comme la religion grecque, doit produire sans cesse de nouvelles images, parce que, pour elle, cette création et cette invention artistique sont un véritable culte, le moyen par lequel se satisfait le sentiment religieux. Et pour le peuple, la vue de pareilles œuvres n’était pas un simple spectacle, elle faisait partie de la religion elle-même et de la vie. En général, les Grecs faisaient tout pour la vie publique, dans laquelle chacun trouvait sa satisfaction, son orgueil et sa gloire. Aussi l’art grec n’était il pas un simple ornement, mais un besoin vivant, impérieux; de même que les Vénitiens, à l’époque de leur splendeur.
Hegel, Esthétique (1818-1829)