« Supposons deux hommes ayant les mêmes dispositions de corps et d’âme, et au spectacle de la beauté corporelle, l’un éprouve le désir de jouir illicitement, l’autre persévère fermement en sa chasteté. A quelle cause attribuer que, chez l’un, la volonté devienne mauvaise et ne le devienne pas chez l’autre ? Quelle est la cause de ce désordre en celui où il s’est produit ? Ce n’est pas la beauté corporelle, puisqu’elle ne l’a pas produit chez les deux, bien qu’offerte également aux regards de tous deux. Est-ce la chair de celui qui regarde qui en est cause ? Et pourquoi pas celle de l’autre ? Est-ce l’esprit ? Et pourquoi pas celui des deux ? Car nous avons supposé en tous deux les mêmes dispositions de corps et d'âme. Faut-il dire que le premier fut tenté par une suggestion secrète du mauvais esprit, comme si le consentement à cette suggestion et à toute autre insinuation ne venait pas de sa propre volonté ?[1] (...) Si c’est la même tentation que les deux éprouvent et que l’un cède et consente, l’autre restant fidèle à lui-même, que conclure, sinon que l’un n’a pas voulu, et l’autre a voulu renoncer à la chasteté ? Et d’où vient cela, sinon de leur volonté propre, puisque tous deux avaient les mêmes dispositions de corps et d’âme ? »
Saint-Augustin, La cité de Dieu, XII, 6
[1] Ce consentement, donc, cette volonté mauvaise éveillée par un conseiller perfide, quelle chose l’a produite en cet homme ? Voilà ce que nous cherchons. Si c’est la même tentation que les deux éprouvent et que l’un cède et consente, l’autre restant fidèle à lui-même, que conclure, sinon que l’un n’a pas voulu, et l’autre a voulu renoncer à la chasteté ? Et d’où vient cela, sinon de leur volonté propre, puisque tous deux avaient les mêmes dispositions de corps et d’âme ? La même beauté est apparue pareillement à leurs yeux ; la même tentation secrète les a pareillement sollicités. Veut-on savoir ce qui a produit en l’un d’eux une volonté proprement mauvaise ? A bien y regarder, on ne trouve rien Dira-t-on que lui-même l’a produite ? Mais qu’était il avant cette volonté mauvaise, sinon une nature bonne dont Dieu, Bien immuable est l’auteur ? (...) On trouvera que la mauvaise volonté n’a pas commencé en lui en raison de sa nature, mais en tant que sa nature est tirée de rien. Que personne ne cherche donc la cause efficiente de la volonté mauvaise, car cette cause n’est pas efficiente, mais déficiente (...). Déchoir, en effet, de l’être souverain vers ce qui a moins d’être, c’est commencer à avoir une volonté mauvaise.