devoir envers soi-même : Kant contre Mill

"Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature.[...]

Un homme, qui après une série de maux l'ayant conduit jusqu'au désespoir, éprouve un dégoût de la vie, est envore assez en possession de sa raison pour pouvoir se demander à lui-même si se suicider n'irait pas à l'encontre du devoir envers soi-même. Il recherche alors si la maxime de son action pourrait bel et bien devenir une loi universelle de la nature. Mais sa maxime est la suivante : par amour de moi-même, j'érige en principe d'abréger ma vie si, par son prolongement excessif, elle me menace de m'infliger davantage de maux qu'elle ne me promet de satisfactions. La question demeure simplement de savoir si ce principe de l'amour de soi peut devenir une loi universelle de la nature. Mais alors on voit bien vite qu'une nature dont la loi serait de détruire la vie elle-même par l'intermédaire du sentiment dont la destination est de pousser au développement de la vie se contre-dirait elle-même et ne saurait donc subsister comme nature : en vertu de quoi cette maxime ne peut d'aucune manière tenir lieu d'une loi universelle de la nature, et, par conséquent, elle se trouve entièrement contraire au principe suprême de tout devoir".

 

Kant, Métaphysique des moeurs.

Ce principe veut que les hommes ne soient autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d’action de quiconque pour assurer leur propre protection. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses membres est de l’empêcher de nuire aux autres. Contraindre quiconque pour son propre bien, physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. Un homme ne peut pas être légitimement contraint d’agir ou de s’abstenir sous prétexte que ce serait meilleur pour lui ; que cela le rendrait plus heureux ou que, dans l’opinion des autres, agir ainsi serait sage ou même juste. Ce sont certes de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader ou le supplier, mais non pour le contraindre ou lui causer du tort s’il agit autrement. La contrainte ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à quelqu’un d’autre. Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne les autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain.


John Stuart MILL, De la liberté.