Imaginons des nazis pris dans un piège où ils sont sûrs d’être tués. A proximité se trouve un enclos plein d’enfants juifs. Un nazi choisit le bon emplacement et commence à installer un mortier. Pourquoi cet endroit ? Tout emplacement ayant cette caractéristique convient, et cet emplacement possède cette caractéristique. Pourquoi installer un mortier ? C’est le moyen le plus efficace de tuer des enfants juifs. Pourquoi tuer des enfants juifs ? Il convient à un nazi qui doit mourir de passer sa dernière heure à exterminer des Juifs. (Je suis nazi, c’est ma dernière heure, voici des Juifs). Nous avons alors atteint une caractéristique de désirabilité1 qui met un terme à la question « Dans quel but ? »
[…] Je n’entends cependant pas pour autant suggérer qu’on ne peut pas récuser la première prémisse [« Il convient à un nazi qui doit mourir de passer ses dernières heures à exterminer des Juifs »] ou récuser le fait de la prendre comme première prémisse. Je ne pense pas, ce disant, au désaccord moral ; je préfère laisser cela de côté de notre analyse. Mais il existe d’autres moyens de récuser ou d’être en désaccord. Le premier moyen est de tenir la prémisse pour fausse : ainsi un diététicien pourrait tenir pour fausses les opinions d’Aristote sur la nourriture sèche. Il convient effectivement à un nazi d’exterminer les Juifs, pourrait dire l’objecteur, mais il y a un sacrement nazi de la mort, et c’est son accomplissement qui convient vraiment à un nazi qui va mourir, s’il en a le temps. Ou encore, notre contradicteur peut nier qu’il convienne à un nazi en tant que tel d’exterminer des Juifs. Cependant ces objections seraient incorrectes. Passons donc rapidement à d’autres formes de réfutations. Toutes admettent la véracité de la proposition, et toutes sauf une s’opposent au désir de ce qu’elles mentionnent, c’est-à-dire faire ce qui convient à un nazi à l’heure de la mort. Celle qui ne s’y oppose pas pourrait s’énoncer ainsi : « Oui, cela convient à un nazi, mais il lui convient aussi de faire telle ou telle autre chose. Pourquoi ne pas faire autre chose qui tombe sous cette description3, à savoir… ». La suivante dirait : « C’est sûr, mais en ce moment cela ne m’intéresse plus du tout de faire ce qui convient à un nazi. ». Ou encore une autre objection dirait : « Effectivement cela convient à un nazi, mais rien ne l’oblige à le faire. Le nazisme ne demande pas toujours de tendre à l’extrême, il n’est pas aussi inhumain. Non ! On peut être un bon nazi et s’abandonner à de douces et tendres pensées, se rappeler sa maison, sa famille, ses amis, chanter des chansons et boire à la santé de ceux qu’on aime. » Si l’une de ces considérations a prise sur lui, le syllogisme pratique de notre nazi échoue4, bien que la vérité de la prémisse ne soit pas niée, même de son point de vue, et qu’on ne relève pas non plus d’erreur dans son calcul pratique.
Elizabeth Anscombe, L’intention, (1957), §38, (Gallimard p. 128-131)