Jean-Paul II - la religion et les sciences. le cas Galilée

 

Bellarmin [le cardinal qui a instruit le dossier Galilée], qui avait perçu le véritable enjeu du débat, estimait pour sa part que, devant d’éventuelles preuves scientifiques de l’orbitation de la terre autour du soleil, on devait «interpréter avec une grande circonspection» tout passage de la Bible qui semble affirmer que la terre est immobile et «dire que nous ne comprenons pas, plutôt que d’affirmer que ce qui est démontré est faux". Avant lui, c’était déjà la même sagesse et le même respect de la Parole divine qui inspiraient saint Augustin lorsqu’il écrivait: «S’il arrive que l’autorité des Saintes Écritures soit mise en opposition avec une raison manifeste et certaine, cela veut dire que celui qui [interprète l’Écriture] ne la comprend pas correctement. Ce n’est pas le sens de l’Écriture qui s’oppose à la vérité, mais le sens qu’il a voulu lui donner. Ce qui s’oppose à l’Écriture ce n’est pas ce qui est en elle, mais ce qu’il y a mis lui-même, croyant que cela constituait son sens". (...)

10. À partir du siècle des Lumières et jusqu’à nos jours, le cas Galilée a constitué une sorte de mythe, dans lequel l’image que l’on s’était forgée des événements était passablement éloignée de la réalité. Dans cette perspective, le cas Galilée était le symbole du prétendu refus par l’Église du progrès scientifique, ou bien de l’obscurantisme «dogmatique» opposé à la libre recherche de la vérité. Ce mythe a joué un rôle culturel considérable; il a contribué à ancrer de nombreux scientifiques de bonne foi dans l’idée qu’il y avait incompatibilité entre, d’un côté, l’esprit de la science et son éthique de recherche et, de l’autre, la foi chrétienne. Une tragique incompréhension réciproque a été interprétée comme le reflet d’une opposition constitutive entre science et foi. Les élucidations apportées par les récentes études historiques nous permettent d’affirmer que ce douloureux malentendu appartient désormais au passé. (...)

12. Un autre enseignement qui se dégage est le fait que les diverses disciplines du savoir appellent une diversité de méthodes. Galilée, qui a pratiquement inventé la méthode expérimentale, avait compris, grâce à son intuition de physicien de génie et en s’appuyant sur divers arguments, pourquoi seul le soleil pouvait avoir fonction de centre du monde, tel qu’il était alors connu, c’est-à-dire comme système planétaire. L’erreur des théologiens d’alors, quand ils soutenaient la centralité de la terre, fut de penser que notre connaissance de la structure du monde physique était, d’une certaine manière, imposée par le sens littéral de l’Écriture Sainte. Rappelons-nous le mot célèbre attribué à Baronius: «Spiritui Sancto mentem fuisse nos docere quomodo ad coelum eatur, non quomodo coelum gradiatur». En réalité, l’Écriture ne s’occupe pas des détails du monde physique, dont la connaissance est confiée à l’expérience et au raisonnement humains. Il existe deux domaines du savoir, celui qui a sa source dans la Révélation et celui que la raison peut découvrir par ses seules forces. À ce dernier appartiennent notamment les sciences expérimentales et la philosophie. La distinction entre les deux domaines du savoir ne doit pas être comprise comme une opposition. Les deux domaines ne sont pas purement extérieurs l’un à l’autre, ils ont des points de rencontre. Les méthodologies propres à chacun permettent de mettre en évidence des aspects différents de la réalité.

                                                                                                                           Jean-Paul II, Discours à l'académie des sciences pontificales, 1992