sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes: car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait sans peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possibles de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher. »
René Descartes, Discours de la méthode, 1637
traduction :
Lorsque j'ai acquis certain principes dans les sciences de la nature, et que, commençant à les appliquer à des problèmes particuliers, j'ai remarqué jusqu'où ils peuvent nous mener, et combien ils sont différents des connaissances dont on s"était servi jusqu'alors, j'ai compris que je ne pouvais pas les tenir cachés sans pécher grandement contre la loi morale qui nous oblige à faire le bien général de tous les hommes autant que nous le pouvons. Car ces principes m'ont fait comprendre qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient très utiles à la vie, et qu'à la place de ces sciences toute théoriques qu'on enseignait dans les universités, on peut développer une science "pratique". Celle-ci nous permet de connaître la force et les actions du feu, de l'eau, des astres, des cieux, et de tous les autres corps physiques qui nnous entourent aussi distinctement que nous connaissons les machines de nos artisans. Ainsi, nous pourrions les utiliser comme ces machines, en tirer un usage approprié, et devenir ainsi comme maîtres et propriétaires de la nature. Cela n'est pas seulement désirable pour la conception d'une infinité d'invention, qui feraient qu'on pourrait tirer profit sans peine des fruits de la terre et de toutes les choses utiles qui s'y trouvent, mais c'est surtout utile pour la conservtion de la santé, qui est certainement le premier bien de la vie et le fondement de tous les autres. Car l'esprit-même dépend étroitement du fonctionnement des organes du corps, si bien que c'est, je crois, dans la médecine que l'on pourra trouver des moyens de rendre les hommes plus sages et plus habiles.
notion évoquées :
- la raison et le réel
- la technique
- la liberté, le bonheur
- l'esprit et la matière
- l'histoire
- le vivant