"Le progrès quasi autonome de la science et de la technique dont dépend effectivement la variable la plus importante du système, à savoir la croissance économique, fait [...] figure de variable indépendante. Il en résulte une perspective selon laquelle l'évolution du système social paraît être déterminée par la logique du progrès scientifique et technique. La dynamique immanente à ce progrès semble produire des contraintes objectives auxquelles doit se conformer une politique répondant à des besoins fonctionnels. Or, une fois que cette illusion s'est effectivement bien implantée, la propagande peut invoquer le rôle de la science et de la technique pour expliquer et légitimer les raisons pour lesquelles, dans les sociétés modernes, un processus de formation démocratique de la volonté politique concernant les questions de la pratique « doit » nécessairement perdre toute fonction et céder la place aux décisions de nature plébiscitaire concernant les alternatives mettant tel ou tel personnel administratif à la tête de l'État. C'est la thèse de la technocratie, et le discours scientifique en a développé la théorie sous différentes versions Mais le fait qu'elle puisse pénétrer aussi, en tant qu'idéologie implicite, dans la conscience de la masse de la production dépolitisée et avoir un pouvoir de légitimation me paraît plus important."
Habermas, La Technique et la Science comme idéologie (1963)