Baudrillard : le devoir de consommer et de jouir

baudrillard.jpegUne des meilleures preuves que le principe et la finalité de la consommation n’est pas la jouissance est que celle-ci est aujourd’hui contrainte et institutionnalisée non pas comme droit ou comme plaisir, mais comme devoir du citoyen.

Le puritain se considérait lui-même, considérait sa propre personne comme une entreprise à faire fructifier pour la plus grande gloire de Dieu. Ses qualités « personnelles », son « caractère », à la production desquels il passait sa vie, étaient pour lui un capital à investir opportunément, à gérer sans spéculation ni gaspillage. À l’inverse, mais de la même façon, l’homme-consommateur se considère comme devant-jouir,comme une entreprise de jouissance et de satisfaction. Comme devant-être-heureux, amoureux, adulant/adulé, séduisant/séduit, participant, euphorique et dynamique. C’est le principe de maximisation de l’existence par multiplication des contacts, des relations, par usage intensif de signes, d’objets, par l’exploitation systématique de toutes les virtualités de jouissance.

Il n’est pas question pour le consommateur, pour le citoyen moderne de se dérober à cette contrainte de bonheur et de jouissance, qui est l’équivalent dans la nouvelle éthique de la contrainte traditionnelle de travail et de production. L’homme moderne passe de moins en moins de sa vie à la production dans le travail, mais de plus en plus à la production et innovation continuelle de ses propres besoins et de son bien-être. Il doit veiller à mobiliser constamment toutes ses virtualités, toutes ses capacités consommatives. S’il l’oublie, on lui rappellera gentiment et instamment qu’il n’a pas le droit de ne pas être heureux. Il n’est donc pas vrai qu’il soit passif : c’est une activité continuelle qu’il déploie, qu’il doit déployer. Sinon, il courrait le risque de se contenter de ce qu’il a et de devenir asocial.