La paresse naturelle des hommes est grave ; mais le mal de beaucoup le plus grand, dont souffrent ouvriers et patrons, est la flânerie systématique à peu près universelle tous les systèmes ordinaires d'organisation. Celle-ci résulte d'une étude attentive de la part des ouvriers de ce qui favoriserait leur meilleur intérêt. L'auteur écoutait récemment avec intérêt un petit apprenti de douze ans, déjà expérimenté, expliquant à un apprenti plus neuf, qui avait témoigné d'une énergie et d'un entrain spéciaux, la nécessité d'aller lentement et lui démontrant que puisqu'ils étaient payés à l'heure, plus ils allaient vite, moins ils gagnaient d'argent; enfin lui déclarant que s'il allait trop vite, les autres apprentis le gratifieraient d'une raclée. [...]. La majeure partie de la flânerie systématique est pratiquée par des ouvriers avec l'intention délibérée de tenir leur patron dans l'ignorance de la vitesse à laquelle on peut faire un travail.
Cette flânerie est si universellement pratiquée dans ce but qu'on aurait peine à trouver dans un grand établissement un ouvrier travaillant à la journée ou aux pièces, à l'entreprise ou suivant tout autre système ordinaire, qui ne passe une partie considérable de son temps à étudier quelle est la juste lenteur avec laquelle il doit travailler pour convaincre encore son patron qu'il marche à la bonne allure. Les causes de cet état de choses sont que, pratiquement, tous les patrons se fixent une somme maximum qu'ils croient équitable d'attribuer par journée à chacune de leurs catégories d'employés, que ceux-ci travaillent à la journée ou aux pièces.
Chaque ouvrier a tôt fait de déterminer le chiffre qui s'applique à son cas. et il se convainc également que, si son patron se persuadait qu'un ouvrier est capable de faire plus que lui ne produit, il trouverait tôt ou tard la moyen de forcer son ouvrier à fournir le supplément de travail avec peu ou pas d'augmentation de salaires.
F. W. Taylor, La Direction des ateliers, 1919