Il paraît désormais évident que le mot allemand Beruf, et peut-être plus clairement encore, le mot anglais calling, suggère déjà, à tout le moins, une connotation religieuse - celle d'une tâche imposée par Dieu. Connotation qui nous sera d'autant plus sensible que nous aurons mis l'accent sur Beruf dans un contexte concret. Si nous faisons l'historique de ce mot à travers les langues de civilisation, nous constatons d'abord que, chez les peuples où prédomine le catholicisme - il en va de même pour ceux de l'antiquité classique - aucun vocable de nuance analogue n'existe pour désigner ce que nous, Allemands, appelons Beruf, au sens d'une tâche de l'existence [Lebensstellung], d'un travail défini, alors qu'il en existe un chez tous les peuples où le protestantisme est prépondérant. (...) Dans son acception actuelle, ce mot provient des traductions de la Bible; plus précisément, il reflète l'esprit du traducteur et non celui de l'original. Il semble avoir été employé pour la première fois, avec le sens qu'il a de nos jours, dans la traduction de Luther (...). Dès lors, cette signification est passée très vite dans le langage profane de tous les peuples protestants (…) estimer que le devoir s'accomplit dans les affaires temporelles, qu'il constitue l'activité morale la plus haute que l'homme puisse s'assigner ici-bas - voilà sans conteste le fait absolument nouveau. Inéluctablement, l'activité quotidienne revêtait ainsi une signification religieuse, d'où ce sens [de vocation] que prend la notion de Beruf. (...) L'unique moyen de vivre d'une manière agréable à Dieu n'est pas de dépasser la morale de la vie séculière par l'ascèse monastique, mais exclusivement d'accomplir dans le monde les devoirs correspondant à la place que l'existence assigne à l'individu dans la société [Lebensstellung], devoirs qui deviennent ainsi sa « vocation » [Beruf].
Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme